La scène Punk rock à Bruxelles : un long voyage à travers le temps

Cover of the first album of The Exploited, released in 1981

Qu’en est-il du Punk rock à Bruxelles ? Le Punk, c’est une arrivée fracassante dans l’histoire de la musique. Emergeant de la scène underground New-yorkaise, il submergea les Etats-Unis, traversa les mers, et trouva des adeptes aux quatre coins du globe. Les territoires conquis furent emplis par ses sonorités, ses éléments visuels, sa culture et sa philosophie.

La Belgique n’a pas été épargnée par la tempête, et quantité d’artistes y ont vu le jour. À Bruxelles, comme dans bien d’autres villes, subsistent des salles, bars, magasins de disques, où le cœur du mouvement continue de battre. Dans cet article, Futurgrooves vous propose de retracer le voyage tumultueux du Punk rock à travers le temps. Partant de ses origines, nous verrons ce qu’il a laissé dans son sillage, jusqu’à ses manifestations actuelles dans la capitale.

Le Punk rock, c’est quoi ?

L’émergence

Nous sommes dans les années 70. Alors que le rock bat son plein à travers le monde, un club, au 315 Bowery à Manhattan, fait vibrer la scène musicale New-yorkaise. En effet, dans l’arrière-fond du CBGB, des artistes aux noms désormais illustres s’y produisent de manière régulière. Ainsi peut-on y voir Patti Smith qui, ayant fait du club son QG, performe jusqu’à des heures tardives. Elle sera bientôt suivie par une multitude de groupes : the Ramones, the Cramps, the New York Dolls,… Tous pratiquent un rock aux accents particuliers. Ils sont les pionniers d’un mouvement inédit dont l’impact, pas seulement musical, s’étendra aux différentes sphères de la société. Le Punk Rock était né, et partant des salles sombres du CBGB et de Max’s Kansas City, s’apprêtait à entreprendre son long voyage à travers le monde et les époques.

The CBGB, mythical club of New-York, where we saw the emergence of the first manifestations of the Punk rock.

En 1976, Malcom McLaren, un producteur de disques britanniques, se fait l’intermédiaire de cette expérience New-yorkaise. Porte le Punk Il aprock au Royaume-Uni, et Londres devient rapidement l’épicentre du courant. Une effervescence nouvelle, qui voit l’apparition de groupes tels Sex Pistols, the Clash, the Damned. De manière fulgurante, le Punk amorce une conquête de l’Europe, et se repend jusqu’à atteindre les confins de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Afrique du Sud ou du Brésil.

Le Punk rock, c’est d’abord de la musique

À une époque où le marché s’est emparé de la scène musicale, le rock est devenu un genre « grand public ». L’institutionnalisation dont il est l’objet se manifeste de manière frappante dans les arena – ces concerts gigantesques – servant à déclamer des albums financés par les multinationales de la musique. Le Punk entend opposer à la virtuosité grandiloquente pratiquée par les groupes mainstream un rock pur, simplifié et tonitruant, dont les morceaux courts soutiennent des chants hurlés et véhéments. Le nombre d’instruments se veut lui aussi réduit. Une guitare électrique, une basse, une batterie et un chanteur suffisent à fulminer en cris des textes contestataires, à la teneur souvent politique, cherchant parfois à scandaliser

Le Punk rock, c’est aussi une philosophie

S’il découle de la musique, le mouvement Punk s’incarne dans une diversité d’arts et de sphères de la vie. Il est l’expression de l’anti-autorité, d’une opposition au mainstream, de la dénonciation d’une société marchande, mondialisée et standardisée, et, plus généralement, de la rébellion d’une jeunesse s’insurgeant contre l’injustice sociale et le statu quo. Le Punk prône ainsi le retour à l’authenticité, à la scène locale, et se déploie via de petites maisons de disques et une distribution indépendante. La promotion du mouvement se veut affranchie des mass médias, et se fait par le biais des Fanzines, ces magazines produits par des passionnés pour d’autres passionnés.

Le Punk, c’est aussi le DIYDo It Yourself – clamant qu’il n’est pas nécessaire d’être un performeur entrainé dans les meilleures académies pour manifester sa fibre artistique. Quiconque a la capacité de devenir un acteur culturel. Il suffit de le vouloir et de se lancer dans l’aventure avec fureur. Le Punk, c’est une invitation à passer du statut d’objet à celui de sujet de l’Histoire.

The slogan No Future was popular within the Punk movement. It is taken from the song God Save The Queen by the Sex Pistols

L’héritage

Le Punk n’eut pas qu’un impact considérable dans le monde de la musique. D’abord considéré comme une menace, il eut cette fonction de socialisation qui fut créatrice d’identités nouvelles. L’influence grandissante du mouvement s’accompagna d’une modification des structures de la vie quotidienne. On assista à l’apparition de nouveaux cadres interprétatifs qui furent autant de terreaux favorables à l’émergence de nouvelles valeurs, de nouveaux jugements et raisonnements, et qui se traduisirent par des pratiques individuelles et collectives inédites. Il y eut un virage dans l’histoire Occidentale : le Punk rock venait de redéfinir des codes, de redessiner les frontières des mœurs.

Comme la plupart des mouvements l’ayant précédé, l’engouement autour de la culture Punk connut un déclin. Il renaitra sous l’impulsion d’une seconde vague au détour de l’année 90. Le succès planétaire de Nirvana, groupe de grunge, vit une remise du rock sur le devant de la scène. Cela favorisa la mise en avant d’artistes de Punk rock, comme Green Day, Good Charlotte, the Offspring et Rancid.

It was Nirvana's album Nevermind that put rock back on the map
Green Day adopted many musical and visual elements of Punk. Here, Mike Dirnt.

Ces groupes émergeants vendirent plus d’albums qu’aucun autre artiste de Punk rock des années 70, alimentant un débat au sein du mouvement. Alors même que la philosophie Punk faisait la part belle à l’authenticité et au refus du mainstream, voilà qu’émergeaient des stars planétaires, arborant tous les symboles de cet univers. Un tiraillement interne préoccupa nombre d’artistes, oscillant entre la volonté de faire connaitre leur musique au plus grand nombre, et celle de demeurer à un niveau local. Le Punk tendait à faire partie intégrante de la culture.

The U.K. Subs, British punk rock band from London

Malgré ces évolutions et la croyance répandue selon laquelle le Punk rock aurait été corrompu par l’industrie mercantile, la scène underground n’a cessé de perdurer. U. K. Subs, groupe issu des premiers soubresauts britanniques, toujours actif aujourd’hui, en est un exemple éloquent. Dans la continuité des seventies, le Punk rock garde son influence sur la musique contestataire et semble pouvoir continuer sa course effrénée tant que subsiste une envie de rébellion. C’est ainsi que le résume Dick Lucas dans le documentaire Punk’s Not Dead :

« le fait que le punk rock perdure et perdurera est un témoignage de ce que le punk rock fait pour tous ses amateurs, il les bourdonne avec un dynamisme, une énergie, une colère ou de l’amour […] C’est ce dynamisme qui crée la réincarnation du punk rock encore et encore. »

Et la Belgique ?

Comme pour le reste de l’Europe, la déferlante Punk a largement inondé la Belgique. Ainsi voit-on apparaitre dès 1976 des regroupements du mouvement à Anvers, Liège, Namur et Bruxelles.

Le concert mythique de  Patti Smith dans un auditoire de l’ULB, constitue un point de départ grandiose. Par la suite, nombres d’individus commencent à danser sur the Ramones ou the Clash dans des clubs bruxellois tel le Canotier. S’y produisent un panel éclectique de groupes, allant du Belge comme Hubble Bubble, aux groupes Américains venant du CBGB. Puis la capitale voit dans cette salle de 200 personnes qu’amateurs et professionnels expriment leur amour du Punk rock devant des foules frénétiques avides de pogo.  

De cette agitation émergent des groupes made in Belgium comme Chainsaw et the Kids.

A Rockin'Club membership card

Le quartier du Canal eut également une grande importance dans le développement du rock alternatif. Il fut un lieu où, depuis les années 70, des artistes de renom y ont fait leur première scène. La désindustrialisation des usines et hangars jonchant les berges du canal donnèrent lieu à une multitude d’espaces exceptionnels à prix modiques. Cela attira une activité artistique underground en mal de financement.

La scène bruxelloise aujourd’hui?

Aerial view of the Willebroeck canal, a path of industrial development in the 19th century

Ainsi, c’est au bord des flots du Willebroek que se trouve aujourd’hui l’un des plus hauts lieux du Punk Rock à Bruxelles. Le Magasin4 fut créé en 1994, lorsqu’un groupe de Punk décida d’investir un entrepôt situé au 4, rue du Magasin. Sans financement extérieur, la salle de concert a été menacée à plusieurs reprises. Elle fut contrainte de se déplacer et se trouve actuellement avenue du Port, alors que sa surface a triplé. Soutenue par la ville de Bruxelles, elle met en avant des artistes punk, mais étend son répertoire à d’autres genres comme le psychédélic, l’ambient, l’industrial, … Comme on peut le voir sur sa page d’accueil, l’institution a survécut à la pandémie, et fête cette année ses 25 ans.

En réalité, la scène Punk belge continue d’être active. Parmi les groupes en vogue, on peut citer  Pink Room, Kookaburra, Baya Computer ou Nervous Shake. Si Magasin4 est le lieu le plus emblématique du Punk rock bruxellois actuel, on peut en entendre dans bien d’autres endroits. Ainsi aurait-on pu citer le VK Vaartkapoendans lequel se perpétue une programmation musicale alternative. De même qu’au Café Central,aux Halles Saint Gery, ou au Cobra Jaune,dans les Marolles, qui disposent chacun de leur scénette. Ou encore, à la Brasserie de la Source,à Tour et Taxi, ainsi qu’à celle de la Mule,au cœur de Schaerbeek.

pink room

En plus de cela, nombre de disquaires continuent de faire vivre le mouvement, comme le  72 records, rue du Midi. Et puis, comme pour le rock’n roll classique, c’est un style qui peut susciter l’intérêt de tout un chacun, qui viendra assister à un de ces concerts tantôt dans un festival, tantôt dans une grande salle bruxelloise.

Le caractère underground du Punk demeure cependant, et continue de s’exprimer dans des lieux divers, où des artistes inconnus font hurler leurs instruments lors d’événements ponctuels. L’itinérance est-elle le prix à payer pour conserver sa plus pure authenticité ? Le nomadisme plutôt que l’institutionnalisation. L’anonymat plutôt que la notoriété. C’est peut-être cela aussi, l’esprit Punk.

Laisser un commentaire